La Méditerranée est l’un des espaces les plus riches et les plus extraordinaires. Croisement de civilisations, la Méditerranée demeure, depuis l’Antiquité, le nombril du monde, là où les plus grandes civilisations sont nées et se sont développées. Et combien de peintres, de poètes, d’écrivains, d’artistes de tout genre, se sont inspirés aux couleurs et à l’histoire de notre Méditerranée !
Le grand historien Fernand Braudel (1902-1985), dans sa célèbre œuvre «La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II», affirme :
«Qu’est-ce que la Méditerranée ? Mille choses à la fois, non pas un paysage, mais d’innombrables paysages, non pas une mer, mais une succession de mers, non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres».
Une seule phrase, pour résumer cet espace magnifique dans lequel nous vivons.
Mais cet espace est aussi cruel, parfois mortel et si injuste! Des femmes, des hommes et des enfants se meurent chaque jour pour le traverser, d’une rive à l’autre, traverser «ce grand lac salé» à la recherche d’une vie meilleure. Ces voyages de l’espoir commencent avec la naissance de grandes civilisations et ces migrations ne s’arrêteront jamais !
Ne soyons pas naïfs, ne croyons pas à l’irréalisable, l’être humain a été créé pour pouvoir bouger librement et à sa guise et personne ne réussira à l’enfermer derrière des murs «décorés» avec des fils de fer barbelés…
Les mouvements migratoires en Méditerranée concernent la rive Nord comme la rive Sud et le XIXe siècle marque l’apogée des mouvements européens vers l’Afrique du Nord et plus particulièrement vers la Tunisie, pays qui a accueilli, entre le début du XIXe et la moitié du XXe, différentes populations en provenance d’Italie, de Grèce, d’Espagne et de Malte.
En effet, au cours du XIXe siècle, l’île de Malte connaît des problèmes importants : un territoire extrêmement exigu très surpeuplé, des épidémies et des conditions économiques très difficiles. Les Maltais se voient donc obligés de quitter leur île natale pour se réfugier dans d’autres pays, à la recherche d’une vie meilleure. Beaucoup de Maltais, comme d’ailleurs des milliers de Siciliens, s’installeront en Tunisie, à l’époque, sous le Protectorat français.
Les Maltais s’intégreront facilement dans le pays nord-africain, grâce aussi à leur langue, une langue sémitique ou chamito-sémitique qui prend origine de l’arabe sicilien relexifiée à partir de superstrats sicilien et italien mais aussi français et plus récemment anglais. En tout cas, une langue très proche de l’arabe tunisien, qui permettra à la communauté maltaise de Tunisie de comprendre et de se faire comprendre mieux que le reste des autres communautés.
Cette communauté laborieuse et très solidaire a vu le jour en Tunisie autour de 1823, quelques décennies avant l’arrivée de la communauté sicilienne.
Les Maltais formeront la deuxième communauté de Tunisie: ils seront 4.000 en 1850, 5.000 en 1860 et près de 7.000 en 1880, formant ainsi 60% de la population européenne. A Sfax, par exemple, ils représentaient 77% de la population catholique entre 1841 et 1879, et on comptait 900 en 1885 sur un total de 1.200 catholiques (Soumille 1993, p.9-13).
Le plus grand nombre de Maltais s’installera à Tunis, dans des quartiers décrits comme parmi les moins bien entretenus de la ville. Ils habitaient le «quartier européen» situé en bas de la Médina, partageant leur quotidien avec d’autres communautés moins fortunées, dans des maisons mal entretenues, des rues pas goudronnées et assez boueuses.
Selon les archives du consulat britannique, pendant les décennies avant le Protectorat français, les Maltais dépassaient largement toutes les autres populations européennes et jouissaient d’une certaine liberté. On parle déjà, à cette époque-là, d’une deuxième génération de Maltais, née en Tunisie.
Mais le Maltais a toujours été assimilé en Tunisie à une population intermédiaire, reposant en partie sur la position géographique de Malte, située entre le continent européen et le continent africain et sur la similitude entre leur langue sémitique et la langue parlée par les Tunisiens. Cette facilité de communiquer leur permettra de s’intégrer mieux et plus facilement, réussissant à établir des réseaux de commerce nationaux et internationaux dès leur arrivée, y compris le commerce de contrebande.
L’immense majorité est souvent décrite comme une masse travailleuse et honnête. Malheureusement, les archives, que j’ai pu consulter, parlent très peu de cette classe laborieuse, et ce, parce que les instruits avaient probablement peu de temps libre pour écrire leurs mémoires ou tout simplement des lettres disparues donc sans laisser de traces.
Des descriptions de l’époque, résulte une multitude de portraits du Maltais, du commerçant au déshérité, du citoyen honnête au délinquant, comme d’ailleurs pour toutes les autres communautés présentes dans la Tunisie coloniale.
Ce qui est sûr, par contre, c’est que la Tunisie a accueilli, pendant presque deux siècles, beaucoup de désespérés fuyant leurs pays à la recherche d’une vie meilleure, ces masses de prolétariat se sont intégrées à la population locale et une bonne partie n’a plus quitté son Eldorado. D’autres, par contre, à l’Indépendance, ont quitté la Tunisie pour la France, une minorité a fait retour à Malte, d’autres encore sont partis aux Etats-Unis, mais gardant toujours un sentiment d’appartenance à leur patrie.